January 14, 2025

Quel est le rôle des juristes à l’ère de l’IA ?

‍« L’IA révolutionne tous les métiers du texte, de la réglementation et ceux qui reposent sur des ensembles de données. Le juriste à l’ère de l’IA est assis sur une mine d’or : il doit s’en emparer, la faire fructifier et embrasser cette révolution qui fera de nous des juristes augmentés. ».

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« L’IA révolutionne tous les métiers du texte, de la réglementation et ceux qui reposent sur des ensembles de données. Le juriste à l’ère de l’IA est assis sur une mine d’or : il doit s’en emparer, la faire fructifier et embrasser cette révolution qui fera de nous des juristes augmentés. ». Ces mots de Blanche Savary de Beauregard, General Counsel chez Mistral AI, résument parfaitement l’opportunité que représente l’IA pour les juristes aujourd’hui.

Blanche Savary, forte d’une carrière dans des secteurs innovants tels que la blockchain, la cybersécurité et la biotechnologie, est aujourd’hui à la tête de la direction juridique de Mistral AI. Son parcours, marqué par une curiosité constante pour les nouvelles technologies et les défis juridiques complexes, lui permet d’apporter sa vision sur l’intégration de l’IA dans les pratiques juridiques.

Pour elle, l’IA est loin d’être une menace. C’est une occasion unique pour les juristes de se repositionner au sein de l’entreprise et se recentrer sur les missions stratégiques. Pour cela, les juristes doivent comprendre comment intégrer l’IA à leurs pratiques, afin d’exploiter son plein potentiel.

Pour vous y aider, cet article s’appuie sur l'expertise de Blanche Savary, General Counsel chez Mistral AI, une entreprise française leader européen de l’IA. Blanche vous partage ses retours d'expérience et cas d’usage concret au sein de Mistral AI. 

Retour d’expérience de Blanche Savary de Beauregard, General Counsel chez Mistral AI

Mistral AI, un champion européen de l’IA

Fondée en 2023 par trois ex-collaborateurs de Google DeepMind et Meta, Mistral AI est déjà un acteur majeur de l’IA en Europe. « Notre objectif est de créer un champion européen capable de rivaliser avec les géants américains et asiatiques » souligne Blanche. En un peu plus d’un an, l’entreprise a levé plus d’un milliard d’euros et réuni une équipe de plus de 100 collaborateurs, confirmant ainsi son ambition.

Ce qui distingue Mistral AI des autres intelligences artificielles génératives, c’est son approche "open-weights" : près de la moitié de ses modèles sont disponibles en accès ouvert. Cette stratégie permet aux clients de personnaliser les solutions, tout en conservant un contrôle total sur leurs données. Cela permet aux utilisateurs d’explorer pleinement les capacités des modèles en les adaptant aux besoins spécifiques de leur organisation. Cette approche offre également une sécurité accrue puisque les données des utilisateurs restent sous leur contrôle exclusif. « Nos clients n’ont pas à craindre que leurs données soient utilisées à des fins d'entraînement ou partagées » précise Blanche.

Un parcours inspirant guidé par l’innovation

Blanche Savary s’est toujours distinguée par sa curiosité pour les secteurs émergents et complexes où le droit reste à définir. « J’ai toujours été attirée par les défis. Ce qui m’intéresse, ce sont les problématiques complexes, où les règles ne sont pas encore totalement établies. » explique-t-elle. Ce fil rouge l’a conduite à explorer des domaines pionniers comme la blockchain et la cybersécurité chez Ledger, ou encore l’automatisation de la synthèse d’ADN chez DNA Script.

Aujourd’hui, chez Mistral AI, Blanche a trouvé un environnement qui allie innovation technologique et rigueur juridique. « L’IA conjugue science et langage, ce qui fait d’elle un terrain de jeu passionnant pour les juristes », confie-t-elle. Cette passion pour les mots et la précision se reflète dans son travail quotidien : collaborer avec des ingénieurs pour structurer des modèles IA éthiques et performants, tout en intégrant une vision juridique dès leur conception.

Rejoindre Mistral AI en tant que 22ᵉ employée fut une expérience unique. « Quand je suis arrivée, l’entreprise avait quelques mois. L’hyper-croissance était déjà palpable avec une équipe qui doublait tous les trois mois », raconte-t-elle. Au quotidien, elle jongle entre des négociations stratégiques avec des partenaires comme Azure ou AWS, et l’anticipation des réglementations complexes, telles que le RGPD ou le règlement IA européen. 

Elle a dû structurer rapidement une équipe juridique agile et polyvalente, internalisant les domaines clés comme les négociations commerciales et la conformité produit, tout en externalisant des aspects moins cœur de métier dans une start-up technologique tels que le droit des sociétés ou de la concurrence. « Travailler chez Mistral AI, c’est vivre au rythme de l’hyper-croissance. Les décisions doivent être prises rapidement, mais toujours avec une vision à long terme », témoigne-t-elle.

L’IA : une opportunité à ne pas manquer pour les juristes

L’intelligence artificielle va devenir un outil incontournable pour les professionnels du droit. Si elle suscite des interrogations et des craintes, c’est une chance unique pour transformer la pratique des juristes. L’IA leur permet d’accroître leur efficacité et leur impact dans l’entreprise. Mais, pour y parvenir, les juristes doivent apprendre à dialoguer efficacement avec l’IA.

Maîtriser le prompt engineering

Pour tirer pleinement parti des avantages de l’IA, les juristes doivent simplement apprendre à formuler les bonnes questions. Cette pratique, appelée "prompt engineering", est bien plus accessible qu’il n’y paraît. Blanche Savary estime d‘ailleurs qu’elle repose sur des compétences déjà acquises par les juristes : « Notre métier, c’est de poser des questions, de les reformuler et de challenger les réponses obtenues. Ce sont exactement les compétences requises pour maîtriser le prompt engineering.».

Blanche insiste sur l'importance de tester l'IA quotidiennement pour en comprendre les capacités et en tirer pleinement parti : « Prenez l’habitude de poser des questions à un chatbot tous les jours. Cela vous permettra de maîtriser rapidement ces interactions et d’identifier les failles ou les manques dans les réponses pour les affiner. ». Pratiquer régulièrement est la clé pour comprendre les avantages de cet outil au potentiel impressionnant, mais aussi ses limites.

Rester critique face aux outils d’IA 

Les technologies d’IA, bien qu’efficaces, demeurent imparfaites. Elles nécessitent une utilisation réfléchie et critique. « Il est essentiel de challenger les réponses générées par l’IA et d’ajuster les prompts pour obtenir des résultats précis » rappelle Blanche. Cette approche permet d’améliorer la qualité des réponses, mais aussi de garantir leur fiabilité.

Il faut être particulièrement vigilant concernant les risques de "divagation" de l’IA. Ces erreurs, souvent appelées "hallucinations", se produisent lorsque l’outil manque de contexte ou doit répondre à des questions particulièrement complexes. Dans ces cas, l’IA va générer des réponses en s’appuyant uniquement sur des corrélations statistiques déduites de vecteurs issus de grandes quantités de données. Cela peut conduire à des résultats plausibles en apparence, mais inexacts ou déconnectés de la réalité juridique.

Blanche explique que ce phénomène est une conséquence directe de la manière dont l’IA est conçue pour "raisonner". Les modèles statistiques ne disposent pas d’une compréhension intrinsèque : ils déduisent leurs réponses des corrélations statistiques , sans toujours pouvoir distinguer le vrai du faux ce qui suppose notamment de se référer à un contexte. C’est là que le rôle du juriste est essentiel.

Pour éviter les erreurs liées à une utilisation de l’IA, Blanche vous recommande de :

  • Reformuler les questions : si une réponse semble incohérente ou incomplète, ajustez votre question en y ajoutant des précisions. Par exemple, spécifiez le cadre juridique ou les données contextuelles pertinentes. Cette étape aide à orienter l’IA vers des réponses mieux ciblées.
  • Décomposer les problèmes complexes : plutôt que de poser une question large, divisez-la en plusieurs sous-questions plus simples et spécifiques. Cela permet d’obtenir des réponses plus précises, que vous pouvez ensuite combiner pour résoudre un problème global.

Cet exercice vous permettra non seulement d’affiner les résultats, mais aussi de développer une expertise dans l’interaction avec ces technologies.

TIP Tomorro : 

Vous ne savez pas par où commencer ? Demandez à l’IA de vous lister toutes les informations dont elle a besoin pour qu’elle puisse répondre de manière complète à votre question.

Maîtriser l’IA : un prérequis incontournable pour les juristes de demain

L’intelligence artificielle améliore considérablement la productivité des juristes en automatisant des tâches répétitives et chronophages. Elle permet ainsi d’automatiser de nombreuses tâches opérationnelles, sans perdre en sécurité juridique. Cela se traduit par un gain de temps précieux, pouvant être réalloué à des activités à forte valeur ajoutée. 

Blanche Savary souligne un point important : « Dans quelques années, demander à un juriste s’il maîtrise l’IA sera aussi absurde que de lui demander s’il sait utiliser la suite Microsoft ou faire une recherche sur Google. ». L'IA deviendra une compétence de base pour tous les professionnels, au même titre que l’utilisation des outils bureautiques ou des moteurs de recherche.

Elle estime que cela chamboulera les pratiques, comme cela a été le cas lors de l’adoption d’Internet : « Nous avons un peu oublié, mais il n’y a pas si longtemps, on se demandait si Internet allait vraiment transformer nos pratiques. Aujourd’hui, tout semble évident. L’IA suivra la même trajectoire et nous devons nous préparer à vivre cette révolution. ».

Il faudra toutefois être plus rapide qu'avec Internet : « L’adoption d’Internet a pris des décennies pour transformer nos pratiques. L’IA, en revanche, a atteint des millions d’utilisateurs en quelques mois seulement » note Blanche. Les juristes ont donc tout intérêt à s’adapter rapidement pour ne pas être dépassés, mais aussi pour tirer parti de de l’IA. 

L’IA permet aux juristes de s’affranchir des tâches répétitives pour se concentrer sur des missions plus stratégiques (négociation, conseil, accompagnement des décisions clés, etc.). Cette révolution est une opportunité unique de transformer le métier et de repositionner les juristes en tant qu’acteurs stratégiques au sein de leur organisation. 

Les cas d’usage de l’IA dans la direction juridique de Mistral AI

Demain, l’intelligence artificielle ne sera plus une option, ce sera un prérequis. L’IA occupe d’ailleurs déjà une place centrale dans l’équipe de Blanche, composée de 4 juristes : « Elle nous aide à réfléchir autrement. C’est devenu un membre actif de notre équipe, qui challenge nos raisonnements et enrichit nos propositions. ».

Voici plusieurs exemples de cas d’usage de l’IA dans l’équipe juridique de Mistral AI : 

  • Proposer des arguments et rédiger des clauses équilibrées : l’IA excelle dans certaines tâches, notamment suggérer des arguments pour ou contre une clause ou proposer une version plus équilibrée d’un texte contractuel. Ces missions, fréquentes dans le travail juridique, sont traitées plus rapidement et efficacement.
  • Reformuler et synthétiser des documents : un autre cas d’usage fréquent est la reformulation de documents complexes. Blanche peut soumettre un mémo dense à l’IA pour qu’il soit synthétisé ou adapté à différentes audiences (board, fondateurs, opérationnels…). L’outil est capable de reformuler les documents dans plusieurs langues, ce qui est également très pratique.
  • Analyser des questions complexes : l’IA se montre utile pour fournir une première analyse sur des sujets techniques, comme l'interprétation d’une licence open source dans des conditions d’utilisation. Cependant, lorsqu’il s’agit de problématiques plus nuancées, comme l’interprétation du droit bancaire et financier dans un contexte international, ses limites apparaissent avec des questions de droit applicable. Chaque point doit être vérifié pour en garantir la justesse.
  • Outil de brainstorming : lorsque l’équipe rencontre un blocage, elle pose des questions au chatbot pour explorer de nouvelles pistes. On peut lui prompter un argumentaire pour demander quelles en sont les failles, ou les contre-arguments par exemple. 

L’IA nous rend plus performants en accélérant certaines tâches, comme le brainstorming et la reformulation. » témoigne Blanche. Grâce à l’IA, l’équipe peut se concentrer sur des missions stratégiques et à forte valeur ajoutée.

Chez Tomorro, cette vision de l’IA au service de la performance des juristes se concrétise par Oro, l’assistant IA intégré à notre plateforme de gestion contractuelle. Oro accompagne les juristes et les équipes opérationnelles tout au long du cycle de vie des contrats. Il permet d’automatiser des tâches répétitives comme la rédaction, la traduction ou l’extraction d’informations clés, tout en offrant des suggestions adaptées au contexte. Oro permet de simplifier les processus contractuels, mais aussi de renforcer la collaboration entre les équipes et la précision juridique.

Conclusion

L’intelligence artificielle, loin d’être une simple tendance, redéfinit déjà les contours du métier de juriste. Comme le souligne Blanche Savary, l’IA n’est pas une menace, mais une opportunité unique de repositionner les juristes en tant qu’acteurs stratégiques de leur organisation. Elle permet aux juristes de se concentrer sur l’essentiel : l’analyse, l’esprit critique, le conseil et la prise de décisions stratégiques.

Cependant, cette transition ne se fera pas sans effort. Maîtriser l’IA demande de l’adaptabilité, de la curiosité et une approche critique pour en exploiter le plein potentiel, sans tomber dans ses écueils. 

La question n’est plus de savoir si l’IA fera partie du quotidien des juristes, mais comment elle les aidera concrètement à écrire le futur du droit. Comme le résume si bien Blanche : « L’IA est là pour nous rendre meilleurs, plus stratégiques et plus efficaces. ».

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